Comment un modèle organisationnel agile a aidé le géant des télécommunications à innover

PAR PETER BURROWS
Peter Burrows est un journaliste et auteur spécialiste des technologies qui a collaboré avec Business Week, Bloomberg News, MIT Tech Review et à d’autres publications.
Lorsque le gouvernement suisse a fermé les écoles et les entreprises non essentielles en mars et a renvoyé ses citoyens chez eux en attendant la fin de la pandémie de COVID-19 , de nombreuses entreprises se sont empressées de s’assurer que leurs systèmes informatiques résisteraient à cette période de télétravail obligatoire.
Il n’y a pas si longtemps, Swisscom, le plus grand fournisseur de télécommunications de Suisse, aurait été mal préparé. Néanmoins grâce aux enseignements tirés d’un projet de transformation digitale long de sept ans, l’entreprise Swisscom, dont le chiffre d’affaires s’élève à 2,5 milliards de dollars, a réussi à relever le défi.
La transition de l’organisation, qui est passée d’un opérateur obsolète et lent à une exploitation agile basée sur le cloud, cache un secret improbable : une nouvelle structure organisationnelle dans laquelle l’entreprise est gérée par tranches de dix semaines, et non plus par des budgets annuels et des feuilles de route de produits pluriannuelles. À la fin de chaque « intervalle de programme » de 10 semaines, l’ensemble de l’organisation, y compris les responsables des opérations, du marketing et des secteurs d’activité, se réunit pendant deux jours pour réévaluer ses priorités, puis se divise en petites équipes pour mettre en place des tâches spécifiques qui soutiennent l’objectif principal.
Comment le nouveau modèle opérationnel de Swisscom a encouragé la migration vers le cloud ?

Le modèle, préalablement adopté par un petit groupe formé pour changer la façon dont Swisscom concevait des logiciels, a permis à l’entreprise de lancer une variété de services informatiques basés sur le cloud pour des tâches telles que la sauvegarde, la sécurité et la gestion des bases de données. Ces derniers représentent désormais un bon pourcentage des activités des services informatiques de Swisscom, et l’entreprise s’attend à ce qu’ils représentent la majeure partie d’ici peu.
« Il est impossible de passer un an ou plus à développer de nouveaux services comme nous le faisions auparavant », explique Stephan Massalt, vice-président du centre d’innovation Cloud Lab de Swisscom. « Il faut être beaucoup plus rapide. Nous avons investi beaucoup de temps et d’énergie pour devenir une entreprise digitale. »
Cette approche s’est maintenant étendue aux autres services de l’entreprise y compris à un groupe beaucoup plus important chargé de la création de services que Swisscom pourrait proposer sur son propre réseau 5G . Les équipes de Swisscom qui utilisent ce modèle travaillent actuellement sur un large éventail de nouvelles applications, allant de la gestion de flottes de drones commerciaux à la fourniture de nouveaux types de services réseau en passant par les voitures .
« Aucun opérateur ne veut offrir que de “simples tuyaux” », explique Scott Raynovich, fondateur de Futuriom, une entreprise spécialisée en études de marché. « Ceux qui changent leur culture pour être davantage axés sur le cloud auront beaucoup plus de chances gagner des parts de marché. »
Un modèle vieillissant qui devient agile
La transformation de Swisscom a commencé en 2013. À l’époque, la plupart de ses activités informatiques provenaient de contrats d’externalisation, dans lesquels Swisscom dirigeait tout ou partie des opérations informatiques des entreprises en utilisant des méthodes traditionnelles. Si une unité commerciale voulait déployer une nouvelle application ou ajouter un nouveau pare-feu, cela pouvait prendre des semaines sinon des mois aux collaborateurs de Swisscom pour rédiger, tester et effectuer le changement. Amazon avait déjà séduit des milliers de start-ups technologiques avec ses services Web, qui leur permettaient de lancer ou de modifier des services rapidement. Lorsqu’AWS a commencé à conclure d’importants contrats avec la CIA et NewsCorp, la direction de Swisscom a décidé d’agir.
En quelques mois, la société a embauché Stephan Massalt, un néerlandais de 48 ans et coach à temps partiel de l’équipe de robotique dans un lycée, pour mener la migration vers le cloud. Au lieu de travailler au sein du service informatique existant de Swisscom, Stephan Massalt a été chargé de créer un service qui ne serait pas influencé par des méthodes de travail obsolètes. Son objectif : créer une plate-forme cloud afin que les clients de Swisscom puissent également gérer leur infrastructure informatique en quelques clics et, tout aussi important, qu’ils puissent adopter des pratiques de développement modernes pour que l’entreprise de télécommunications puisse créer et améliorer ses logiciels aussi rapidement que n’importe quelle entreprise de la Silicon Valley.

Au début, les progrès ont été rapides. Stephan Massalt a déménagé à Palo Alto, en Californie, et a monté une équipe constituée de nouvelles recrues ayant de l’expertise en ingénierie du cloud et 30 experts en technologie de Swisscom en Suisse qui avaient hâte de participer à un projet de pointe.
L’équipe a rapidement adopté le développement Agile, qui accélère la production de logiciels en permettant aux petites équipes d’ingénieurs d’apporter des améliorations fréquentes et itératives au code, plutôt que de fournir de nouvelles versions massives tous les deux ou trois mois. Les ingénieurs ont trouvé ce mouvement libérateur. Début 2015, le Cloud Lab de Swisscom a créé une plate-forme cloud de base pour offrir à ses clients une alternative à son modèle de services informatiques traditionnel.
« Enfin, les ingénieurs pouvaient travailler rapidement, en petites équipes et sans de longs cycles de décision », explique Stephan Massalt.
Bouleverser les habitudes
Amener les ingénieurs à adopter une approche plus rapide de développement des produits était une chose. Obtenir le soutien des équipes commerciales et du service clientèle en était une autre. Avec la méthode Agile classique, les premières offres de cloud étaient des produits un minimum viables dépourvus des fonctionnalités attendues par la plupart des entreprises clientes de Swisscom, comme plusieurs façons de sauvegarder les données par exemple. Les commerciaux n’étaient pas à l’aise lorsqu’il s’agissait de proposer à leurs meilleurs clients ce qu’ils considéraient comme des services à moitié finis, notamment parce que l’équipe de cloud n’offrait aucune feuille de route à long terme sur laquelle les clients pouvaient compter.
« Ils ont simplement déclaré qu’ils refusaient », conclut Stephan Massalt.
Trouver un terrain d’entente était difficile. Bien que Stephan Massalt et son équipe aient reconnu qu’il fallait faire des compromis, ils étaient contrariés par ce refus. Plutôt que de lancer de nouvelles fonctionnalités logicielles une ou deux fois par mois, les équipes commerciales souhaitaient respecter un calendrier de lancement trimestriel afin que chaque modification puisse être soigneusement testée. Offrir une fiabilité de 99,999 % ou plus était sacrée, bien qu’un nombre croissant de clients souhaitaient alors migrer vers le cloud, quitte à accepter des compromis mineurs en cas d’indisponibilité.
« Les équipes en première ligne souhaitaient un cheval plus rapide, alors que nous voulions leur offrir une voiture », explique Stephan Massalt.
Une avancée radicale
Fin 2016, la tension a atteint son paroxysme. Dès lors qu’ils avaient commencé à utiliser la méthode Agile quelques années auparavant, l’équipe cloud travaillait sous forme de « sprints » de deux semaines. Presque tout ce qu’ils avaient fait était axé sur les besoins des clients. Toutefois, le reste de l’entreprise résonnait toujours en cycles budgétaires annuels et en feuilles de route de produits à long terme. En conséquence, les améliorations apportées par l’équipe de cloud atterrissaient rarement entre les mains des clients et les unités commerciales étaient mécontentes que leurs plans à long terme soient ignorés.
« La différence en matière d’horizons de planification était tout simplement trop grande » , affirme Stephan Massalt. « Il fallait donc mieux aligner les unités commerciales et l’ingénierie. »
La solution s’est présentée au début de l’année 2017, lorsqu’un consultant a introduit une variante de la méthode Agile appelée SAFe pour Scaled Agile Framework. Bien qu’elle ne remplace pas les sprints de deux semaines ni la budgétisation annuelle, cette approche exige que toutes les équipes, des ingénieurs au marketing, travaillent ensemble pour gérer l’entreprise dans le cadre d’intervalles de programme (IP) de dix semaines. Agacés par les frictions chroniques, les dirigeants de Swisscom ont forcé leurs équipes à adopter cette nouvelle approche.
Les équipes en première ligne souhaitaient un cheval plus rapide, alors que nous voulions leur offrir une voiture
L’adaptabilité est essentielle pour les entreprises de télécommunications d’aujourd’hui, explique Chris Bauschka, directeur général et vice-président régional des télécommunications chez ServiceNow. « La pandémie a augmenté la pression sur les fournisseurs de services de communication pour qu’ils utilisent les nouvelles technologies afin de répondre aux besoins des clients. »
Voici comment Swisscom a réussi : les équipes commerciales et d’ingénierie ont été regroupées en une seule organisation « solution élargie » de 100 personnes, composée d’équipes d’une dizaine de personnes se concentrant sur des produits ou des capacités particulières. Au cours de la dernière semaine d’un IP, les équipes soumettent des demandes indiquant ce sur quoi elles souhaiteraient travailler lors des 10 prochaines semaines. Les responsables du groupe élargi analysent une soixantaine de demandes et les classent par ordre de priorité pour le prochain IP.
Chaque IP commence par une réunion de deux jours réunissant tous les participants. Après une première session portant sur les points forts de l’IP précédent, les chefs d’équipe présentent la nouvelle priorité pour les 10 prochaines semaines. Ensuite, chaque équipe prend quelques heures pour déterminer ce qu’elle peut faire pour contribuer à la réalisation de l’objectif commun. Les dirigeants se réunissent à nouveau pour identifier les tâches critiques qui doivent être accomplies pour que d’autres équipes puissent accomplir les leurs. Si des lacunes que personne ne peut résoudre émergent, une équipe mixte est formée avec les personnes les mieux placées pour résoudre le problème. À la fin des deux jours, chaque équipe doit se lever devant le groupe et confirmer ce qu’elle s’engage à accomplir.
Selon Stephan Massalt, l’approche a bien fonctionné dès le début. Cette approche a corrigé le manque d’alignement qui avait engendré tant de problèmes. Avec ce modèle, tout le monde a compris qu’une fois les priorités établies, le débat était clos. Les employés de chaque services ont pu mieux se comprendre en travaillant ensemble au sein d’équipes mixtes.
En partie grâce à l’adoption de SAFe, le groupe informatique a créé une niche de plus en plus importante en fournissant des services informatiques basés sur le cloud, explique Ray Mota, PDG de Synergy Research Corp. Il ajoute : « Swisscom a fait du très bon travail en trouvant un équilibre entre les services informatiques et les services traditionnels des entreprises de télécommunications ».
Swisscom opère 4 000 changements par semaine à son logiciel réseau
Et le reste de l’entreprise devient de plus en plus agile. Désormais, Swisscom opère 4 000 changements par semaine au logiciel qui gère son réseau téléphonique et les équipes acquièrent une expertise dans la création de services. Une unité travaille avec des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Zurich pour développer un logiciel de gestion des flottes de drones commerciaux.
Lorsque la pandémie s’atténuera, davantage d’opportunités commerciales se présenteront. « Nous n’aurons pas besoin de deux ans pour trouver une solution », explique Stephan Massalt. « Nous disposons d’une culture qui peut s’adapter beaucoup plus rapidement. Nous pouvons évaluer nos plans toutes les 10 semaines. C’est l’essence même de la transformation digitale : être plus réactif face aux exigences du marché. »
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